« Ne faites jamais preuve d’arrogance », a demandé, lundi 23 septembre, le Premier ministre français Michel Barnier à ses ministres, réunis pour la première fois en Conseil des ministres autour du président Emmanuel Macron. Mais qui va diriger désormais la politique africaine de la France ? Est-ce le président de la République, le Premier ministre ou le ministre des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot ? Antoine Glaser est un essayiste spécialiste de l’Afrique. Il y a un an, avec Pascal Airault, il a publié chez Fayard, Le piège africain de Macron. Il livre son analyse au micro de Christophe Boisbouvier.
RFI : Qu’est-ce que ce nouveau gouvernement va changer dans la façon de conduire la politique africaine de la France ?
Antoine Glaser : Alors je pense que, sur le plan institutionnel, il n’y a pas vraiment, a priori, de vrai changement. Parce qu’on voit que finalement le nouveau ministre des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, est l’ancien Ministre délégué sur l’Europe, donc, on voit que c’est vraiment beaucoup plus un homme de l’Europe qu’un homme de l’Afrique. Mais il ne faut pas s’arrêter simplement au côté institutionnel. Il y a beaucoup de choses qui sont en train de bouger d’une façon assez étonnante, ce n’est plus du tout la France en Afrique qui va bouger, c’est plutôt l’Afrique en France, ça veut dire un accent mis extrêmement fortement par Emmanuel Macron sur les diasporas, que ce soit à l’Élysée, il y a une nouvelle numéro deux, Diarra Dime-Labille. Et quand on voit au Quai d’Orsay, vous avez quelque chose que les gens ne savent pas, vous avez une direction générale de la mondialisation avec un monsieur qui est très africain, qui est Aurélien Lechevallier, qui a été ambassadeur en Afrique du Sud. Et au sein même de cette structure, vous avez, c’est passé sous les radars, un homme qui a été nommé, un diplomate, Luc Briard, et lui aussi est particulièrement chargé des diasporas africaines.
Sur le plan de l’aide au développement, on apprend que le Premier ministre Michel Barnier, qui fait face à un gros déficit budgétaire, va couper dans l’APD (l’aide publique au développement). Est-ce que ça ne risque pas de contrarier le nouveau ministre des Affaires étrangères, qui a été commissaire européen aux politiques régionales, il fut un temps ?
En fait, on a l’impression qu’il y a une sorte de vernis africain maintenant en France avec la Maison des mondes africains, avec début octobre, à Villers-Cotterêts, le grand sommet de la Francophonie. Et donc on est vraiment dans une nouvelle stratégie. Ça veut dire faire oublier à quel point l’armée française s’est fait virer de l’ensemble des pays sahéliens et comment globalement la France pèse de moins en moins en Afrique.
Et tant pis pour l’aide au développement ?
L’aide au développement, on voit que cela va être à la portion congrue. On voit bien que l’aide au développement, à mon avis, ça sera beaucoup plus injecté ici au niveau des diasporas, lié sans doute aussi aux problématiques de l’immigration. Et on va être beaucoup plus dans du franco-français et de moins en moins dans du franco-africain.
L’Élysée fait savoir depuis quelques semaines que les affaires étrangères, cela fait partie du domaine réservé du président, comment Michel Barnier et Jean-Noël Barrot vont exister face à Emmanuel Macron sur les dossiers de politique étrangère ?
A mon avis, ils n’existeront pas. D’autant que c’est vraiment lié au maintien de Sébastien Lecornu, le ministre de la Défense. Donc, on voit que c’est vraiment Emmanuel Macron qui va rester à la manœuvre sur l’Afrique.
Oui, mais Michel Barnier a été ministre des Affaires étrangères en 2004. Il l’a rappelé d’ailleurs ce dimanche lors de son interview sur France 2, les affaires étrangères, ça l’intéresse…
Oui, les affaires étrangères l’intéressent. Mais franchement, sur l’Afrique, on n’a jamais vraiment senti cela, en dehors bien sûr de l’écologie, du développement. Mais on voit bien que lui, sa principale préoccupation sur les affaires étrangères, ça va être l’Europe avec le budget et la façon dont finalement les Européens vont serrer la vis à la France sur le problème du déficit budgétaire. Sur l’Afrique, c’est vraiment Emmanuel Macron qui est à la manœuvre. C’est lui qui reçoit énormément de présidents africains à déjeuner, dîner. Et c’est là où les décisions vraiment sont prises.
Dans le conflit du Sahara occidental, Emmanuel Macron a modifié la position de la France cet été, alors que le gouvernement Attal était démissionnaire. Est-ce c’est un signe que l’Élysée peut prendre des décisions importantes sans même consulter Matignon ou le Quai d’Orsay ?
Absolument. C’est incroyable. D’ailleurs, ça s’est fait au départ, surtout à ma connaissance, à travers finalement la première dame Brigitte Macron qui a commencé à avoir un certain nombre de relations avec les sœurs du Roi, etc. On est complètement dans une sorte de culture politique qui se décide à l’Élysée et uniquement à l’Élysée et nulle part ailleurs.
Est-ce qu’après les revers subis par Emmanuel Macron au Sahel, Michel Barnier et Jean-Noël Barrot ne peuvent pas s’atteler à une tentative de reconquête du terrain perdu ?
Je ne crois pas. Je pense que ça a été acté. Maintenant, même au niveau du ministère de la Défense, vous avez l’ancien ministre de la Coopération, Jean-Marie Bockel, qui doit rendre son rapport, sans doute début octobre…
Sur l’avenir des bases militaires françaises en Afrique ?
Oui, une fois qu’il aura rendu son pré-rapport, vous aurez un Conseil de défense à l’Élysée qui va décider plus précisément des effectifs, ce qui va en être de ces bases. A priori, d’après ce que je sais, on a l’impression que le Tchad est moins concerné, il devrait rester 300 soldats. Mais pour l’instant, on parle surtout du Gabon, du Sénégal et de la Côte d’Ivoire.
Comme bases à dégarnir ?
Comme bases à dégarnir, ce qui n’est pas rien, je veux dire la Côte d’Ivoire, il n’y en aurait plus que 100. Au Sénégal, la même chose. On voit que c’est vraiment un repli de l’armée française.