Présenté mercredi dernier en commission des Affaires étrangères, le projet de rapport sur les relations entre la France et l’Afrique des députés Bruno Fuchs (Mouvements démocrates et indépendants), du Haut-Rhin, et Michèle Tabarot (LR) jette un pavé dans la mare. En 175 pages, résultats d’auditions de personnalités françaises et africaines, dont François Hollande et Mohamed Bazoum, avant sa chute le 26 juillet dernier, les deux députés membres de la commission des Affaires étrangères prônent ni plus ni moins un changement de paradigme, alors que la présence française en Afrique n’a jamais été aussi contestée depuis les indépendances au début des années 1960. Pour Le Point Afrique, Michèle Tabarot livre son regard sur l’actualité brûlante des relations franco-africaines ainsi que sa vision de l’avenir.
Le Point Afrique : Pourquoi vous paraît-il aujourd’hui urgent pour la France de refonder sa relation avec l’Afrique ?
Michèle Tabarot : Le continent africain est aujourd’hui traversé par des mutations profondes et il a un immense potentiel de croissance. Cela n’a pas échappé à toutes les grandes puissances qui ont construit de nouvelles stratégies pour l’Afrique avec des résultats concrets. La France est à la traîne et n’a pas suffisamment anticipé ces bouleversements.
Nous sommes aujourd’hui contestés, notamment en Afrique de l’Ouest. Nous avons perdu des parts de marché en nous enfermant dans le rôle de gendarme de l’Afrique, pendant que nos concurrents ont conquis des parts de marché conséquentes. Nous voyons aussi la montée d’un sentiment antifrançais que nous n’avons pas su contrer. Tout cela valide bien l’urgence de repenser la stratégie française pour l’Afrique et de mettre un terme à notre déclin.
Ce 21 novembre, un débat s’ouvre au Parlement sur la stratégie de la France en Afrique, comment jugez-vous la pertinence de ce momentum et des thèmes en question ?
Ce débat sera bienvenu à condition qu’il ne se résume pas à un exercice formel et permette d’engager un vrai travail de fond. C’est un point essentiel. L’hypercentralisation et le manque de concertation ont considérablement rétréci le champ de la politique française pour l’Afrique.
Pour ma part, je propose d’avoir au moins deux débats parlementaires par an sur l’Afrique. Je propose aussi l’instauration d’un conseil des Affaires étrangères à l’Élysée associant régulièrement tous les ministres concernés. Tout ne peut plus se décider en vase clos entre le chef de l’État et son conseiller Afrique. Il faut aérer la politique africaine de la France et c’est très bien si notre rapport y contribue.
Qu’y a-t-il de nouveau dans votre rapport alors que beaucoup a déjà été dit et écrit sur le sujet, notamment par Achille Mbembe ?
J’ai le sentiment que le rapport de monsieur Mbembe est plus tourné vers le regard que l’Afrique porte sur la France et sur les valeurs dont notre pays devait soutenir la diffusion sur ce continent. Notre prisme a été différent et pour ma part, j’ai voulu me focaliser sur une approche pragmatique, qui se penche surtout sur la réalité de la politique française en Afrique, sur nos erreurs, et sur les défis que nous avons à relever. C’est une approche concrète de ce qu’est aujourd’hui la stratégie africaine de la France et de comment l’améliorer sur le terrain et pas seulement sur le plan des idées.
La France est-elle capable de ne pas intervenir dans les affaires internes des pays africains ? Comment tenir une « juste distance démocratique et politique », comme le suggère Achille Mbembe ?
Ce qui est certain, c’est que l’ère où la France était un partenaire incontesté sur le continent africain est révolue. Il y a aujourd’hui une compétition stratégique et notre capacité d’influence est désormais réduite. Nous voyons bien au Sahel que les pays n’hésitent plus à se tourner vers d’autres partenaires parfois moins exigeants que nous. C’est le revers de la médaille de notre déclin en Afrique. Nous laissons la porte ouverte à des puissances bien moins éthiques que nous le sommes.
Vous avez aussi raison de rappeler que la doctrine de conditionnalité, qui voudrait que l’aide de la France soit soumise au respect de la démocratie, est vécue comme une grande hypocrisie à cause de son application à géométrie variable selon les pays. Il faut revoir et clarifier cette doctrine qui a désormais plus de quarante ans, mais en faisant aussi attention à ne pas apparaître encore une fois comme des donneurs de leçons.
Quelle est votre évaluation du sentiment antifrançais en Afrique ?
Le sentiment antifrançais, c’est une réalité incontestable, même s’il faut faire attention aux effets de loupe parce qu’il n’est pas généralisé. De ce que nous avons pu voir et entendre, il est surtout le fait de certains courants de pensée et de la jeunesse urbaine désormais très connectée. La montée de ce sentiment a des causes externes évidentes. Les Russes l’instrumentalisent largement et les juntes qui ont pris le pouvoir continuent de rendre la France responsable de tous leurs échecs actuels.
Nous avons aussi nos propres lacunes. Notre communication n’est pas à la hauteur. Les Africains nous reprochent également de ne pas assumer nos positions et nos intérêts, ce qui donne parfois le sentiment d’un agenda caché. Nous avons également affaibli notre réseau d’influence, nos ambassades, nos coopérants…
Il y a enfin quelques sujets qui empoisonnent nos relations. Je pense à la question des visas qu’il faut réformer dans le respect de l’impératif de maîtrise des flux. Je pense aussi au franc CFA, qui nourrit tous les fantasmes alors que les pays africains sont seuls décisionnaires et sont libres de l’abandonner quand ils le voudront.
Comment expliquez-vous que la France n’ait pas anticipé tous les changements en cours, notamment dans les pays d’Afrique francophone ?
Les causes sont nombreuses. Par exemple, depuis 2015, nos services de renseignement ont légitimement eu de nouvelles priorités. Leur attention s’est focalisée sur les groupes djihadistes et terroristes, mais visiblement au détriment du suivi des évolutions politiques par manque de moyens. Nous avons pris conscience trop tardivement que l’un et l’autre sont très liés. C’est l’un des enseignements de la crise malienne. Sans solution politique globale, il devient très difficile de lutter contre le terrorisme. C’est pour cette raison que nous préconisons une hausse des moyens du renseignement pour retrouver cette capacité d’anticiper et de comprendre les changements en cours sur ce continent.
Vous alertez sur une perte de « connaissances », à quoi est-ce dû ?
C’est en réalité une érosion depuis plusieurs décennies qui s’est amplifiée avec l’annonce de la fin de la politique africaine de la France, qui a été prononcée successivement par les deux derniers chefs de l’État. Cette annonce a été perçue comme une volonté de se détourner du continent africain même si, dans les faits, cette politique africaine a fini par rattraper les présidents Hollande et Macron.
Renouer avec la connaissance de l’Afrique, c’est essentiel et ça passe par plus de coopérants sur le terrain alors que leur nombre a été divisé par dix. Ça passe aussi par la formation de nos diplomates. Je suis très favorable à la création d’un institut des hautes études africaines et à l’idée que nos ambassadeurs soient spécifiquement préparés avant d’être envoyés dans un pays, à l’image de ce que font les États-Unis. Cela vaut aussi pour les militaires. Beaucoup disent avoir découvert le Sahel et ses réalités seulement une fois sur place.
Votre rapport met l’accent sur la communication, pourquoi est-ce devenu un élément essentiel dans cette relation ? Et quels outils peuvent aider à l’heure de la guerre informationnelle ?
Dans notre rapport, nous mettons en évidence le jeu de la Russie qui diffuse des fausses informations, paye des influenceurs pour démolir l’image de la France et finance des manifestations pour nuire à nos intérêts. La bataille de l’information est devenue centrale et la France est en train de la perdre alors qu’elle a de vrais atouts.
Il faut d’abord apprendre à communiquer efficacement sur ce que nous faisons. Aujourd’hui l’AFD finance des projets, mais parfois il y a tellement d’intermédiaires qu’au final son nom n’apparaît plus. Ce manque de retombées positives de notre action au travers de l’AFD s’explique en grande partie par le défaut de pilotage politique de cette institution. Je souhaite restaurer ce pilotage politique là où il a disparu pour que cette institution soit pleinement au service de notre stratégie d’influence. Il faut aussi que nos médias valorisent notre action et ne servent pas de caisse de résonance aux discours haineux ou complotistes contre la France. Quand on fait parler un opposant à la France, c’est important de montrer aussi des opinions différentes. Du point de vue des Africains, nos médias publics sont des médias d’État. Pour eux, c’est la voix de la France. Ils ne comprennent pas pourquoi ils ne donnent pas une meilleure image de notre pays.
Quelles approches préconisez-vous face aux concurrents économiques de la France en Afrique ?
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Il faut savoir adapter notre offre aux attentes de nos partenaires. Arrêtons d’imposer nos schémas préconçus à des pays qui savent ce qu’ils veulent. Sur le plan militaire par exemple, notre offre d’équipements se résume parfois à des équipements de pointe ou à des cessions de matériels d’occasion. Les pays africains se tournent vers d’autres pour avoir des armes bon marché.
J’ai aussi la conviction que nous devons élargir nos horizons et nous tourner encore plus fortement vers des partenariats avec l’autre Afrique. Je suis pour le développement de relations avec des pays anglophones ou lusophones. Ces nouveaux partenariats sont porteurs de beaucoup de promesses.