Les pays africains sortent-ils gagnants de la fin de la politique de coopération avec la France ? Si l’on ne veut pas que l’affrontement Nord-Sud tourne au drame, estime l’écrivain Xavier Parier, il est urgent de rebâtir une coopération entre l’Europe et l’Afrique, deux continents à majorité chrétienne, de nature à permettre un vrai développement.
Il y a dans les relations entre la France et Afrique subsaharienne une pathologie qui ressemble à s’y méprendre à un désamour. Pour avoir été très intimes, les relations entre ces deux mondes ne pouvaient pas tourner sans transition de la passion à l’indifférence. L’amour de la France au Sud du Sahara cède chaque jour la place à une sourde animosité. On accuse les Russes. On accuse les Chinois. On oublie d’accuser les maladresses parisiennes et le déni africain.
Pendant un demi-siècle, la France a su, avec un pragmatisme qui n’allait pas sans bons sentiments, garder l’Afrique francophone (moins la Guinée, plus le Ghana et quelques autres) dans le camp occidental. Ce n’était pas rien, car les pressions soviétiques étaient fortes et constantes dans le continent. Les dirigeants africains dans l’ensemble n’y ont pas cédé. Ils ont servi des régimes qui parfois étaient loin d’être exemplaires, mais ils ont finalement toujours choisis de rester, quoique non alignés, dans le camp de la liberté contre le monde communiste. Pourquoi ? Parce que la politique de coopération fondée sur la Communauté mort-née, voulue par le général de Gaulle, reposait sur des relations extrêmement intimes. On trouvait des experts français à des postes élevés dans les administrations africaines. La politique africaine de la France était réellement pensée ; elle était sans cesse remise en question et ajustée. Le dialogue était permanent. La confiance était cultivée. C’était une affaire de famille. Tout n’était pas idyllique, évidemment. Nos ambassadeurs étaient des sortes de proconsuls, certes, au point que parfois on les appelait « hauts représentants ». Nos militaires roulaient parfois des mécaniques, certes. Nos experts étaient envahissants, certes. Les conflits d’intérêt fourmillaient, certes. Et aussi des scandales privés. Mais nos services extérieurs plaidaient sincèrement la cause des États africains dans les instances internationales, et avec des résultats. La France mettait ses finances à contribution pour rester le premier bailleur de fonds de ces pays proches. En contrepartie, les États africains se comportaient en amis. Ils nous soutenaient à l’ONU. Ils se formaient dans nos universités. Ils soutenaient la francophonie. Ils nous donnaient l’impression gratifiante et trompeuse que la France était encore une super puissance.
Échec de la « normalisation »
La chute du mur de Berlin a changé la donne. Élu président de la République en 1995, Jacques Chirac a immédiatement intégré le fait que la « Françafrique » florissante sous le règne de François Mitterrand ne survivrait pas longtemps à la fin de la Guerre froide. Son souci a été d’organiser la fin de ce modèle unique en son genre — et qu’il jugeait pathologique — plutôt que d’avoir à subir son implosion. Il a mandaté la cellule africaine de l’Élysée pour, selon son expression d’alors, « dénouer les épissures » entre la France et l’Afrique afin d’imaginer des relations d’une autre nature, toujours intenses, certes, mais normalisées. Normalisées, mais amicales. Amicales, mais transparentes. Il a ainsi fallu, de manière assez contre-intuitive, décevoir des demandes d’influence française qui continuaient de parvenir au sommet de l’État français de la part des dirigeants africains habitués aux confusions de la Françafrique. Le deuil que les dirigeants africains ont dû faire de ce modèle n’était pas plus facile à vivre que celui que subissait de son côté notre ministère de la Coopération, désormais dilué au sein du ministère des Affaires étrangères.
Pour autant, cette politique de normalisation n’a offert qu’un répit. Les forces de mutation du monde ont emballé le processus. Depuis 1995, la part de la France dans les échanges africains est passée de 9 à 3% pendant que la part de la Chine passait de 2 à 20%. C’était un mouvement naturel et inéluctable sur lequel aucune politique ne semblait pouvoir durablement peser. En même temps, les discours de la Russie devenaient audibles au sud du Sahara. Les élites africaines ont commencé à se lasser de l’influence française. Comme l’avait prédit Jacques Chirac, la fin des blocs avait sonné le glas du bloc franco-africain.
Deux continents à majorité chrétienne
Ce qui n’a pas été anticipé , c’est que la normalisation des relations entre la France et l’Afrique déboucherait aussi vite sur une animosité antifrançaise à la hauteur de ce qu’avait été l’intimité partagée. Cette animosité est une donnée objective, avec une partie de l’animosité que le monde entier voue désormais à un bloc occidental de plus en plus rejeté. Les Africains sont-ils gagnants de ce changement de partenaire et d’esprit ? On peut en douter quand on voit le comportement de la milice Wagner au Sahel ou les pratiques commerciales des entreprises chinoises en Afrique de l’Ouest. Des déboires ne manquerons pas d’advenir, car la Russie et la Chine sont des pays lointains, quand tout rapproche l’Afrique de l’Europe : proximité, culture, longitudes.
Si l’on ne veut pas que l’affrontement Nord-Sud tourne au drame, il est urgent de rebâtir une coopération euro-africaine de nature à permettre un vrai développement du continent, alternative à la crise migratoire qui s’annonce et a déjà commencé. Il faudra un jour aussi se rappeler que l’Europe et l’Afrique sont deux continents à majorité chrétienne. Les prêtres africains Fidei donum donnent leur vie pour sauver nos paroisses. À nous de donner notre imagination pour réfléchir à l’avenir commun avec nos vieux amis africain. À nous de continuer à croire à la liberté. Ces temps-ci, le monde ne semble plus avoir tellement envie de liberté. Partout les dictateurs relèvent la tête et partout les faibles se prennent à les écouter. L’Église catholique africaine est en première ligne contre les puissances mortifères. Un jour viendra où c’est nous qui l’appellerons au secours.