L’extrême droite aux portes du pouvoir. C’est ce que laissent entendre les résultats d’un sondage Ipsos publié le 27 juin pour Radio France, France TV, Le Monde, Sciences Po Cevipof, l’Institut Montaigne et la Fondation Jean-Jaurès, et réalisé du 21 au 24. D’après l’enquête, le Rassemblement national (RN), renforcé par la frange des Républicains alliés à Éric Ciotti, table à 36 % des intentions de vote (dont 32 % pour le RN seul). L’alliance des partis de gauche rassemblés sous la bannière du Nouveau Front populaire pointe, elle, à 29 % des suffrages devant le camp présidentiel relégué en troisième position, à 19,5 % des intentions de vote.
La victoire, le 7 juillet prochain, rend possible la constitution d’un gouvernement conduit par un Premier ministre d’extrême droite. Qu’en sera-t-il, alors, des relations Afrique-France ? Le RN dispose-t-il d’une véritable politique africaine ? Difficile à dire pour le moment. Lors de sa conférence de presse où il exposait les grandes lignes de son programme, dont ses propositions en matière de politique étrangère, le président du parti, Jordan Bardella, n’en a pas dit un mot.
Les dernières propositions du RN sur le sujet remontent au 13 avril 2022, lors d’une autre conférence de presse, dirigée cette fois par Marine Le Pen. Projet de création d’une « union francophone » à l’image du Commonwealth britannique, et politique de développement « moins dispendieuse » faisaient partie des mesures de la candidate à l’élection présidentielle, qui qualifiait par ailleurs « le Sénégal, le Gabon, le Niger, la Guinée, le Tchad » de « pays historiquement amis ».
Retour sur les accords Algérie-France de 1968
Des déclarations non réitérées cette année vis-à-vis du continent, globalement perçu par le parti à travers le prisme migratoire. Jordan Bardella a, par exemple, déclaré vouloir revenir sur l’accord migratoire scellé entre la France et l’Algérie en 1968, qui prévoyait un régime spécial pour l’installation des ressortissants algériens en France. Signé à l’origine pour « faciliter la promotion professionnelle et sociale des travailleurs algériens », le traité pourrait donc être abrogé si le RN accédait au pouvoir… et compliquer d’autant plus les relations entre la France et l’Algérie. « Personne ne peut croire que l’Algérie accepterait une telle décision », confirme Jean-Yves Camus, politologue et codirecteur de l’Observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean-Jaurès.
La position du RN vis-à-vis de l’islam est un autre point de discorde. « La suppression de l’abattage rituel ainsi que l’interdiction en France d’imams venus du Maghreb, des suggestions annoncées dans les médias par le parti ces dernières semaines, ne feront qu’abîmer un peu plus les liens entre Paris et Alger et l’Afrique du Nord dans son ensemble », ajoute le spécialiste de l’extrême droite.
« Pas de réflexion globale »
Le sud du Sahara, quant à lui, reste « très confidentiel » dans le programme du parti. « Le RN ne s’en désintéresse pas, mais il n’y a pas de réflexion globale. Le parti applique une politique africaine au coup par coup, par l’intermédiaire de personnalités plus ou moins proches », explique Jean-Yves Camus. En 2015, l’amitié entre le maire (RN) de Perpignan, Louis Aliot, et l’opposant congolais Guy-Brice Parfait Kolelas avait par exemple poussé l’ex-mari de Marine Le Pen à dénoncer le référendum organisé par Denis Sassou-Nguesso pour se maintenir au pouvoir.
Pendant un temps, le parti entretenait aussi quelques liens avec la Guinée équatoriale, basés sur l’intérêt naissant de Jean-Marie Le Pen pour le président Teodoro Obiang Nguema Mbasogo. « En 2016, le fondateur du FN [ex-RN] m’avait dit qu’il était allé à l’investiture de Teodoro Obiang Nguema Mbasogo et que le système que ce dernier avait construit, ça lui plaisait », raconte Jean-Yves Camus. Pour rappel, le président équato-guinéen est à la tête du pays depuis 1979, ce qui fait de lui le plus ancien président en exercice au monde. Sous son régime, les atteintes aux droits de l’homme et la corruption sont légion.
L’année suivante, Marine Le Pen s’était rendue au Tchad, en pleine campagne présidentielle. Un voyage de quarante-huit heures, durant lequel elle a visité pêle-mêle la résidence de feu Idriss Déby Itno, l’Assemblée nationale, un hôpital et une caserne des militaires français de l’opération Barkhane. « Nous parlons le même langage », avait-elle estimé devant les députés tchadiens.
Plus récemment, en janvier 2023, l’ex-présidente du RN s’est déplacée au Sénégal pour y rencontrer le président d’alors, Macky Sall. Un voyage en forme de reconnaissance internationale mais qui « a participé », selon le fondateur directeur de l’association Mémoires et partages, Karfa Diallo, à « la stratégie de dédiabolisation » du parti « sur un continent dont les ressortissants sont pourtant les cibles favorites des attaques, physiques et verbales, des militants d’extrême droite », s’offusquait-il dans une tribune à Jeune Afrique. S’il arrive au pouvoir, en revanche, le RN ne pourra plus compter sur cet allié inattendu : Macky Sall a été remplacé par l’opposant Bassirou Diomaye Faye lors de l’élection présidentielle de mars 2024.
Une politique « préjudiciable » pour les Africains
Ces vagues rapprochements avec le continent montrent bien que le parti « n’est pas tenté d’intervenir dans la politique africaine », confirme Jean-Yves Camus. « Il ne faut pas oublier que sa tonalité générale reste profondément hostile à une société multiculturelle. » Les mesures anti-immigration annoncées par Jordan Bardella le 24 juin vont dans ce sens. À ce sujet, le président du parti est prolifique. Il prévoit, entre autres, le rétablissement du délit de séjour irrégulier, la suppression du droit du sol et celle de l’aide médicale d’État (AME), dont bénéficient certains sans-papiers.
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Des mesures qui suscitent « une certaine inquiétude » auprès des ressortissants africains, affirme Romaric Badoussi, politologue et enseignant chercheur à l’université de Parakou, au Bénin. « Cette politique serait préjudiciable pour de nombreux Africains qui cherchent à venir en France pour y faire leurs études ou pour travailler, mais aussi pour les membres de la diaspora. » Pour le chercheur, la prise de pouvoir de l’extrême droite pourrait aussi « exacerber le sentiment anti-français chez certains ».
Le média SenePlus, lui, pense le contraire. « L’ingérence française décriée par une certaine élite politique et intellectuelle africaine depuis plusieurs années sera moins prenante, voire inexistante, avec l’extrême droite qui prône la préférence nationale et n’aura pas certainement l’outrecuidance de la refuser pour les pays africains qui veulent la souveraineté intégrale à l’égard de la France », est-il écrit dans un article du 11 juin. « Certaines personnes, il est vrai, voient d’un bon œil l’éventualité du RN à la tête de l’État français, admet Romaric Badoussi. Mais, pour moi, cela ne traduit pas une adhésion pleine et entière au parti xénophobe, mais plutôt un rejet de la politique africaine du président en exercice. »