Le courage de cet écologiste congolais a été salué par un prix international à Londres la semaine dernière. Dans l’est du pays, l’activiste tente de protéger un parc naturel devenu une zone de conflit.
Bantu Lukambo est désormais rentré chez lui. A Goma, capitale de la province du Nord-Kivu, à la frontière orientale de l’immense République démocratique du Congo (RDC). Dans ses bagages, il rapporte un prix, attribué la semaine dernière à Londres par le Fonds international pour la protection des animaux. Une belle reconnaissance pour cet activiste congolais qui, souvent au péril de sa vie, se bat pour protéger le parc national des Virunga, le plus ancien d’Afrique, créé en 1925. Un vaste espace de 7 900 km² à cheval sur trois pays frontaliers : la RDC, le Rwanda et l’Ouganda.
Doté d’une biodiversité exceptionnelle, inscrit au patrimoine de l’Unesco, le parc abrite plus de 700 espèces d’oiseaux mais aussi la plus importante population d’hippopotames d’Afrique et les derniers gorilles des montagnes. Mais ce paradis naturel est aussi une zone de conflits, depuis au moins trente ans.
Que devient la défense de l’environnement quand la violence des hommes s’impose dans le décor ? Le combat peut sembler dérisoire, perdu d’avance. Surtout dans une région abandonnée, où l’immense majorité de la population, confrontée à l’insécurité, peine également à survivre au quotidien. Bantu Lukambo n’a pourtant jamais renoncé et a même remporté quelques belles victoires.
Une partie du parc occupée par des groupes armés
Ce quinquagénaire, marié et père de six enfants, est né dans le parc des Virunga, dans un petit village de pêcheurs au bord du lac Edouard, véritable mer intérieure de 2 150 km². «Dans ma communauté, on respectait les animaux. Mon père me répétait souvent qu’il fallait protéger les hippopotames. Pour les poissons. Car ils se nourrissent de bouses d’hippopotames. J’ai grandi ainsi, conscient de l’harmonie nécessaire des cycles naturels», explique-t-il d’une voix un peu rêveuse, au téléphone depuis Goma. Déjà à l’époque, il y avait bien quelques braconniers. «Mais ils attaquaient à l’arme blanche, c’était marginal», rappelle-t-il.
Tout bascule en 1994. L’année du génocide des Tutsis dans le pays voisin, le Rwanda. Après avoir massacré près d’un million de personnes, l’armée génocidaire en déroute franchit la frontière. Débarque en RDC avec sa soif de violence et ses armes. «C’est à ce moment-là que je me suis engagé pour défendre le parc. Avec l’afflux de ces réfugiés rwandais, les armes létales ont proliféré. Et le braconnage, et la déforestation sauvage», explique l’activiste. Surtout, le chaos va perdurer. La région devient l’épicentre d’un conflit qui, à travers une myriade de groupes armés, opposera la RDC, le Rwanda et l’Ouganda, au gré d’alliances locales sans cesse renouvelées. Le paradis des Virunga se transforme en enfer.
Aujourd’hui encore, une partie du parc est occupée par des groupes armés. En guerre contre l’armée congolaise, comme le M23, soutenu par le Rwanda et l’Ouganda. Ou bien alliés aux forces armées congolaises, comme ces wazalendo, les «patriotes», qui comprennent notamment les Forces démocratiques de libération du Rwanda, dernier avatar des forces génocidaires vaincues en 1994, dont les revenus proviennent en partie de la déforestation du parc, grâce au bois transformé en charbon.
En dénonçant le braconnage, ou le commerce des bébés gorilles, qu’il réussit à démontrer en se faisant passer pour un client, l’activiste se met vite en danger. «J’ai reçu des menaces de mort. Je ne compte plus les fois où j’ai dû me cacher subitement, parfois dans des latrines, pour échapper aux hommes armés à mes trousses», confie-t-il. A trois reprises, il a dû fuir son pays, une fois déguisé en prêtre. Sans échapper à des arrestations, qui lui vaudront notamment de passer deux jours dans un trou rempli d’eau. Récemment, il a écrit aux présidents congolais, rwandais et ougandais, pour les implorer de faire des Virunga une zone démilitarisée.
«Un climat de terreur»
Mais sa plus belle victoire à ce jour, c’est celle remportée contre une multinationale britannique : le groupe pétrolier Soco International, mandaté à partir de 2007 pour exploiter les gisements de pétrole du lac Edouard. «Soco voulait nous faire croire qu’il n’y aurait aucun impact sur l’environnement. Mais moi, j’ai voyagé ! Je suis allé jusqu’au Nigeria, où j’ai vu un lac pollué, évaporé en raison de l’exploitation du pétrole. Il ne reste plus que de la boue et des crabes», s’insurge-t-il. C’est pourtant une bataille du pot de terre contre le pot de fer qui s’esquisse. «Soco faisait régner un climat de terreur. Ses hommes circulaient avec des paramilitaires en Jeep. Des pêcheurs ont été tués, d’autres arrêtés. Mais ils tentaient aussi de séduire : en promettant des soins de santé gratuits à des communautés analphabètes, qui souffrent de la faim.»
Reste qu’en récupérant des documents qui prouvent la corruption pratiquée par Soco à l’égard des élites locales, Bantu Lukambo ira, avec d’autres activistes, jusqu’au Parlement de Londres pour confondre le groupe pétrolier et l’obliger à se retirer du projet en 2015. Il reste vigilant : «La corruption gangrène notre pays et le projet pétrolier n’est pas officiellement abandonné.» Les autorités du pays tentent également de récupérer des terrains au sein du parc – «ce qui est totalement illégal dans une zone préservée», souligne-t-il – en soudoyant les propriétaires. Bantu Lukambo écrit et dénonce sans répit. Encouragé par ce prix obtenu à Londres. Ce n’est pas le premier. En 2016 à Hawaï, il avait été consacré «héros vivant» de la lutte pour l’environnement. Un titre qui lui va bien.